Jusqu’à ces derniers jours ces quelques mots étaient inaudibles >>>
Pourtant, j’aurais pu prononcer cette phrase de nombreuses fois dans ma carrière d’élève. Mais qui m’aurait entendu ? Cru ? Soutenu ? Défendu ?
J’imagine deux cas de figure à ce : « Maman, le prof me harcèle ! » :
- Tu es un vaurien, le maître a raison. Une bonne claque ne fait de mal à personne, surtout pas à toi.
- Tu dois être patient, c’est comme ça, serre les dents encore quelques mois.
« Combien de Betharram ? », titre la presse en ciblant uniquement les écoles privées. (lire article ci dessous)
Combien d’affaires Évaëlle faudra-t-il pour faire changer les choses ? (lire article ci dessous)
Combien d’enseignants pédophiles, comme le prédateur de la vallée de la Thur, seront jugés dans les mois et les années à venir ? (lire article ci dessous)
Les langues se délient et c’est ce qui pouvait arriver de mieux pour les victimes.
Il en aura fallu du temps pour arrêter de mettre sous le tapis les délits et parfois les crimes que des enseignants, une infime minorité, pouvaient commettre à l’égard de leurs élèves en toute impunité.
Les sociologues, les psychologues sauront nous dire pourquoi aujourd’hui et pas hier ? Pourquoi dénoncer aujourd’hui ce qui était tu hier ?
Étonnant tout ça, si je me projette dans mes souvenirs, pour une part, bien lointains et, pour une autre part, beaucoup plus proches.
Élève en primaire dans un quartier populaire d’Épinal dans les Vosges, j’ai été humilié, discriminé, insulté, frappé par plusieurs de mes maîtres et maîtresses d’école. Moi seul ? Évidemment non ! Il en allait de même pour mon frère cadet et mes copains des mêmes cités ouvrières.
Fessées déculottées par une maîtresse en CE1. Trainé par les petits cheveux (vous savez ceux du côté des oreilles) en CE2. Présenté comme ayant autant d’avenir qu’un bagnard. Renvoyé à la maison en pleine après-midi avec mon frère qui de peur n’avait pu se retenir alors que nos parents travaillaient. Enfermé (avec d’autres camarades) dans la classe, pendant que ceux qui avaient pu payer participaient à une séance de cirque sous le préau. Orienté d’office, sans autre forme de procès, vers des études courtes (certificat d’études, ou au mieux BEPC) parce que fils d’ouvrier…
En cherchant bien, mais j’ai autre chose à faire, je raviverais d’autres souvenirs.
Ceci dit, je n’ai jamais eu conscience que mes enseignants dépassaient les limites de l’acceptable. C’était la norme, il fallait s’y conformer.
Passé en sixième, j’ai encore connu l’un ou l’autre prof d’une sévérité excessive. Essentiellement des violences verbales et psychologiques, violences physiques parfois (« Enlève tes lunettes », disait le pion précautionneusement avant de coller une gifle à un binoclard).
J’ai le souvenir de ce gentil prof de maths, ancien instituteur, qui donnait de meilleures notes à ceux qui utilisaient des feutres qu’à l’époque un prolétaire ne pouvait s’offrir.
J’ai le souvenir de cette prof de français qui passait l’heure de cours à nous « crier dessus » (expression utilisée par l’enseignante dans l’affaire Évaëlle).
J’ai le souvenir de ce prof d’Histoire-Géo, un élu de la République au sein de la municipalité d’Épinal, qui a soulevé un élève (Jean-Marc, son prénom est bien ancré dans ma tête) d’une main et l’a collé contre le mur du couloir. Le manteau de Jean-Marc s’est accroché à une des patènes de la rangée. Lorsque le prof a retiré sa main, Jean-Marc est resté suspendu dans le vide dans l’hilarité générale. Il a fallu s’y mettre à plusieurs pour le décrocher. Heureusement, le crochet ne l’avait pas blessé.
La puberté passant par-là, les violences physiques diminuaient à partir de la 4e, mais pas les humiliations et encore moins les discriminations sociales, ethniques, religieuses…
Ces enseignants violents avaient pignon sur rue et étaient souvent considérés comme l’élite de la profession. Les autres profs, ceux au comportement « normal », devaient, sans doute, faire passer l’esprit de corps avant tout autre considération morale.
Et les parents, les miens en tout cas, soutenaient fortement ces enseignants : « N’hésitez pas à lui coller une bonne paire de claques et il en recevra une autre à la maison pour lui apprendre. »
Je vous livre ici la définition du mot « apprendre » qui fut la mienne tout au long de ma carrière d’élève : « Ça lui apprendra ! »
Voilà pour les souvenirs lointains. Pour les proches, je remonte aux années 90, lorsque mes deux plus grandes filles étaient au cycle 3.
Scolarisées dans une commune alsacienne de 700 habitants, L****, leur enseignant, directeur de l’école et secrétaire de mairie, pouvait avoir des accès de violences incompatibles avec le métier qu’il exerçait. Il frappait, insultait, punissait jusqu’à faire vomir ses têtes de Turc.
Les parents les plus avisés retiraient leurs enfants, les autres tendaient le dos en attendant que ça passe. Beaucoup se disaient qu’en leur temps, ils avaient vécu des situations similaires avec le même enseignant (un comble) où des plus anciens dont cet enseignant malveillant aurait pu s’inspirer (on parle d’un certain Monsieur S**** décédé depuis belle lurette).
Pour protéger mes enfants devant l’indifférence générale, il a fallu que je rédige une lettre promettant à cet adulte, indigne de sa fonction, de porter plainte à la gendarmerie s’il portait la main sur l’une d’elles.
J’ai parfaitement conscience aujourd’hui de m’être contenté du strict minimum. Quid de tous ces enfants traumatisés ? Mes filles le sont encore et, à ce jour, elles ne m’ont pas tout raconté.
Aujourd’hui, cet ancien prof-bourreau coule une retraite tranquille qu’il croit bien méritée en s’occupant tendrement de ces petits-enfants.
Maintenant que les faits sont sur la table, que la parole se libère, comment former, aider, suivre (et malheureusement parfois poursuivre) les enseignants dans leur mission d’une complexité folle pour laquelle ils ne sont pas toujours faits ni suffisamment préparés ?
Cela revient à repenser l’école dans son entièreté. Alors qu’attendons-nous ?
Ou notre société, avec courage, se donne les moyens de revisiter le désuet modèle Jules Ferry (1881), ou elle continuera de jouer les vierges effarouchées dès que les médias, en se léchant les babines, nous rapporteront la dernière situation de maltraitance de la part d’un enseignant, ou d’une enseignante, au-dessus de tout soupçon.
Quelques pistes de réflexion
- Favoriser les décloisonnements (passage des élèves d’un prof à l’autre).
- Supprimer les portes de chaque salle de classe.
- Travailler en binôme (deux enseignants pour deux classes).
- Rendre obligatoire une heure par semaine d’analyse des pratiques pour tous les profs sans exception.
- Former les élèves et les profs à la lutte contre le harcèlement.
- Evaluer régulièrement les méthodes mises en place pour lutter contre les harcèlements.
- Effectuer, pour chaque enseignant, un bilan psychologique tous les 3 ou 5 ans.
- Donner du temps aux enseignants pour participer à la recherche en pédagogie (et sortir, d’une formation continuée essentiellement didactique).
- Etc.
Rappels pédagogiques de première nécessité
> L’autorité est une influence qui s’exerce sans recourir à la force.
(Hannah Arendt)> La véritable autorité est celle qui grandit l’autre.
(Michel Serre)> Une société, c’est créer ensemble du bien commun.
> Le seul conflit supportable en classe est le conflit sociocognitif.
> Il faut apprendre à « apprendre ensemble » là où le « ensemble » à autant d’importance que le « apprendre ».
> L’enseignant compétant sait passer du réflexe à la réflexivité.
> L’ennemi de l’enseignant, c’est la certitude.
(d’après des notes prises au vol lors d’une conférence de Philippe Mérieu)
Pour aller plus loin
« Qu’avez-vous appris à l’Ecole normale ? Il faut avoir au moins l’intelligence d’enlever les lunettes avant de gifler un gosse ! » (dit un inspecteur à un instituteur en 1952)
La lecture de l’article de l’historien de l’école Claude Lelièvre (ci-dessous) au sujet des punitions à l’école renvoit dos à dos l’école publique et l’école catholique. Malgré les interdictions répétées de la pratique des châtiments corporels, ils ont toujours été pratiqués et subsistent encore.
Remarque
Cet article relatif aux violences physiques et psychologiques (harcèlement, racisme, humiliation…) à l’école n’aborde pas les crimes d’ordre sexuel dont je n’ai été ni le sujet, ni le témoin.
Pmg (mars 2025)
pmg@envoix.fr
Depuis la mise en ligne de cette page d’autres articles ont été publiés comme celui-ci (La Croix du 28 mars 2025) :